"LES FAITS" DE LOUBLANDE
L’Église paroissiale de Loublande.
La commune de Loublande est située à l’extrémité nord du département des Deux-Sèvres à proximité de la frontière avec le département du Maine-et-Loire et de celui de La Vendée, ce qui la place ainsi à environ sept kilomètres au Sud de Cholet et quatre kilomètres à l’Est de Saint-Laurent-Sur-Sèvre, c'est-à-dire dans un secteur où la foi catholique est particulièrement vive au tout début du XXème siècle.
La personne concernée par les apparitions est une jeune fille du nom de Claire Ferchaud. Cette dernière est née le 5 mai 1896 et baptisée le même jour. Elle est en outre l’une des six enfants (trois filles et trois garçons) d’un couple d’agriculteurs de la ferme des Rinfillières. Elle fait naturellement ses études primaires à l’école privée du Sacré-Cœur dans sa paroisse (à l’époque on disait l’école libre).
La Ferme des Rinfillières à Loublande vers 1905.
Dès son enfance, après sa première communion, elle affirme voir fréquemment le Christ et la Vierge Marie venus la visiter et la soutenir spirituellement ; mais cela ne lui paraît pas extraordinaire car elle est persuadée que les autres enfants de son âge connaissent naturellement des expériences similaires. Elle finit cependant par en informer son confesseur l’abbé Audebert, qui est surpris tout d’abord, mais pas trop finalement, car il connait la spiritualité importante qui règne dans cette famille. Celle-ci avait en effet pris l’initiative de faire construire en 1862, à ses frais et sur son terrain, une petite chapelle dédiée à Notre Dame de la Garde et appelée la chapelle des Rinfillières.
La chapelle des Rinfillières.
La nouvelle de ces premières apparitions, tenue cachée au début, finit tout de même par s’ébruiter dans la paroisse et les environs assez proches. Des personnes intéressées sont de plus en plus nombreuses à faire le déplacement vers la ferme des Rinfillières pour rencontrer la jeune Claire Ferchaud. Et une certaine dévotion commence à s’organiser à cet endroit, avec l’accord plus ou moins tacite du clergé local.
L'intérieur de la chapelle des Rinfillières et le grand calvaire de Loublande.
Pendant la guerre de 1914-1918, alors que deux de ses frères sont mobilisés et sur le front, Claire part faire une retraite spirituelle. Elle a alors 20 ans. Elle en revient en 1916 et à partir de là, sa mission se précise. Elle affirme que le Christ lui est apparu le 28 novembre 1916 et de nouveau le 16 décembre 1916. Il lui a montré son Sacré-Cœur avec une plaie ouverte lui disant : « Cette plaie ouverte m’est faite par la France officielle, la Franc-maçonnerie ». Il lui aurait en outre donné pour mission d’aller demander au Président de la République de faire apposer le Sacré-Cœur sur le drapeau tricolore de la France.
Une demande de cette nature était inattendue, mais n’en était pourtant pas complètement nouvelle. C’était même la reprise du message reçu lors de l’apparition du 17 juin 1689 par Sainte Marguerite-Marie Alacoque à Paray-le-Monial (canonisée en 1920). Ce message était destiné, à cette époque, au roy de France Louis XIV. Mais il n’avait pas été suivi d’effet.
L’Image du Sacré-Cœur et sa présentation dans l’église de Loublande.
Claire Ferchaud, totalement pénétrée par sa mission divine, décide donc de demander un entretien au Président de la République Raymond Poincaré et dans cet objectif, elle lui écrit la lettre suivante le 16 janvier 1917 :
« Monsieur le Président,
Une humble fille du Poitou vient de recevoir du Ciel une mission qui fait frémir sa nature bien timide, mais qui, en but du salut de notre cher pays, ne peut reculer devant aucun sacrifice. J’ai donc l’honneur de m’adresser au chef premier de la nation française. C’est à vous, Monsieur le Président, que Dieu m’envoie. Le mot Dieu doit vous rappeler quelques souvenirs de notre sainte religion. Ce Dieu qui est chassé de notre pauvre France par la Franc-maçonnerie, persécuté de toutes façons, est cependant jaloux de posséder ce pays qui est appelé la Fille ainée de l’Église.
Monsieur, veuillez s’il vous plaît me prêter votre attention. Ce que j’ai à vous dire n’est pas invention de ma part. La chose est grave pour vous d’abord, ensuite pour l’avenir de la France. C’est de la bouche divine du Dieu du Ciel que j’ai reçu l’ordre de vous transmettre le désir exprès de Jésus. ….
Vous aurez le salut d’abord, si vous renoncez à cette vie de luttes contre la religion. Vous êtes le chef, vous avez en main la clef du Gouvernement. Il vous appartient donc d’aller dans le droit chemin qui est la civilisation chrétienne, source de toute morale. Vous devez montrer le bon exemple en combattant contre la Franc-maçonnerie…..
En second lieu, et c’est là le but de ma mission, Jésus veut sauver la France et les Alliés, et c’est par vous, Monsieur le Président, que le Ciel veut agir, si vous êtes docile à la voix divine. Il y a des siècles déjà, le Sacré-Cœur avait dit à sainte Marguerite-Marie : « Je désire que mon Cœur soit peint sur le drapeau national, et Je les rendrai victorieux de tous leurs ennemis ». Dieu semble avoir dit ces paroles pour nos temps actuels. L’heure est arrivée où son Cœur doit régner malgré tous les obstacles. Ce Cœur Sacré, j’ai eu la grâce d’en contempler la face adorable. Jésus m’a montré son Cœur broyé par l’infidélité des hommes. Une large plaie divise son Cœur. Et de cette plaie profonde, Jésus m’a dit : « C’est la France qui me l’a faite ». Cependant, malgré les coups dont le Cœur de Jésus est martyrisé, il s’avance vers vous, M. le Président, en offrant sa miséricorde.
À plusieurs reprises différentes, entre autres le 28 du mois de novembre 1916, Jésus, dans une lumière spéciale, me fit voir M. le Président, l’âme fortement travaillée par la grâce d’abord à demi écoutant Dieu et votre conscience. Il m’a semblé voir Dieu vous adressant ces paroles « Raymond, Raymond, pourquoi me persécutes-tu ? » À cette voix, vous avez tressailli ; puis la grâce étant plus forte que vos passions, vous êtes tombé à genoux, l’âme angoissée et vous avez dit : « Seigneur, que voulez-vous que je fasse ?... »….
. Monsieur, voici les paroles sacrées que j’ai entendues de la bouche même de Notre-Seigneur : « Va dire au chef qui gouverne la France de se rendre à la Basilique du Sacré-Cœur de Montmartre avec les rois des nations alliées. Là, solennellement, les drapeaux de chaque nation seront bénits, puis le Président devra épingler l’image de mon Cœur sur chacun des étendards présents. Ensuite, M. Poincaré et tous les rois alliés à la tête de leur pays, ordonneront officiellement que le Sacré-Cœur soit peint sur tous les drapeaux de chaque régiment français et allié. Tous les soldats devront être recouverts de cet insigne de salut ». D’accord, ensemble, la France et les alliés, le même jour, à la même heure, s’élanceront à l’assaut, munis de leurs insignes. L’ennemi prendra la fuite et ils seront repoussés au-delà de la frontière avec de grosses pertes. En peu de jours le Sacré-Cœur nous rendra victorieux. ……
Je rappelle à votre souvenir votre pieuse mère, décédée il y a quelques années. Sans elle, oui, vous seriez maintenant couché dans la tombe, et hélas ! Votre âme, où serait-elle ? - Je l’ai vue dans les gloires du Ciel, parmi les saintes de Dieu, se distinguant par sa tristesse profonde. … Votre mère suppliait Dieu de vous faire grâce encore ; alors, à sa demande, Jésus lui donna un délai. Le sang de Jésus et les larmes de votre mère se mêlèrent, et, mystiquement, se répandirent sur vous. Puis, cette mère que vous avez pleurée me montra son fils, ce cher Raymond, au jour de sa première communion, beau comme les anges du Ciel, embaumé de cette présence du premier baiser de Jésus à son âme. ….Mais hélas avec les années qui se sont succédé, les compagnies fausses et dangereuses ont été l’objet de votre recherche et, par ce chemin, vous êtes devenu ce que vous êtes à l’heure présente. Votre mère pleurait toujours. Elle me donna un regard de supplication et me dit « Va, va sauver mon fils, je suis sa mère ! » Monsieur, ne serez-vous pas touché quand je vous rappelle le souvenir de votre mère ? Votre cœur serait-il d’airain pour ne pas être attendri à la voix suppliante d’une mère qui, même dans la gloire du Ciel, pleure sur son fils égaré !
Monsieur, je vous l’ai dit : « De vous dépend le salut de tous. Vous avez sur vos épaules tout le poids du Gouvernement. N’entendez-vous pas aussi toutes les voix de ces glorieuses victimes tombées au champ d’honneur :….Le sang des enfants de France est comme un cri qui s’élève vers vous. Ces voix retentissent plus fortement que le bourdonnement du canon qui gronde sur le front. Ces voix, je les entends vous dire : « Raymond, chef de la nation française, si tu veux obtenir la victoire, reviens à ton Dieu ». Ces paroles ne sont-elles pas plus pénétrantes que la voix des impies qui persécutent la religion ? …. Monsieur le Président, vous êtes perdu si vous persistez dans les erreurs qui empoisonnent votre vie. Ah ! je frémis ! Pauvre France ! D’elle, nous n’aurons plus que le souvenir. »
A cette première lettre, Claire Ferchaud ne reçoit pas de réponse mais elle ne se décourage pas pour autant et en écrit une seconde. Et cette fois-ci les milieux catholiques lui conseillent de faire intervenir en sa faveur, pour obtenir le rendez vous, le marquis Armand Charles de Baudry d’Asson député conservateur de la Vendée, habitant le château de Fonteclose à La Garnache. C’était le fils et successeur du député de Baudry d’Asson, qui en pleine Assemblée Nationale, avait coiffé le président du Conseil Emile Combes d’une casserole en cuivre pour symboliser celles qu’il trainait !
En tous cas, Claire Ferchaud obtient un rendez vous avec le Président de la République le 21 mars 1917 à Paris au palais de l’Elysée. Ceci est déjà extraordinaire en soi et nous indique l’état d’inquiétude du pouvoir en cette période de la première guerre mondiale. Nullement impressionnée par le personnage et le décorum, la petite paysanne lui expose clairement la mission qui lui a été confiée. Elle a été écoutée attentivement et a eu l’impression d’avoir même ému son interlocuteur. Toutefois celui-ci lui expose qu’on ne peut ainsi défaire les lois, ni toucher au drapeau national et que de plus un Président de la République de la IIIème République dispose de peu de pouvoir. Il lui laisse tout de même poliment un espoir, en lui disant en substance qu’il verrait ce qu’il peut faire.
En réalité que pouvait-il faire, alors que les lois relevaient des Assemblées et le pouvoir du Président du Conseil ? Et dans ce domaine, on était alors en période de crise ministérielle. Le 21 mars 1917, le Président du Conseil était, depuis la veille, Alexandre Ribot. Ce dernier céderait sa place dès le 12 septembre 1917 à Paul Painlevé, qui ne resterait que jusqu’au 13 novembre 1917. Et le 16 novembre 1917 c’est le vendéen Georges Clemenceau qui arrivait au pouvoir. Ce qui était une très mauvaise nouvelle pour Claire Ferchaud, puisque ce dernier était un anticlérical viscéral, qui précisément s’était opposé farouchement à la construction de la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre.
Cette affaire, connue progressivement dans les milieux catholiques, suscite alors beaucoup d’émoi. Beaucoup de paroisses font fabriquer le fameux drapeau avec le Sacré-Cœur sur la partie blanche centrale et les inscriptions « Cœur Sacré de Jésus, Espoir et Salut de la France » et l’utilisent lors des processions. Ils décoreront l’intérieur des églises pendant longtemps et ne disparaitront qu’après le concile Vatican II. Lors de notre communion solennelle personnelle en 1957, celui de Chantonnay se trouvait juste au dessus de notre tête. L’État avait assez rapidement pris la précaution d’interdire sa présence lors des cérémonies officielles.
Sa démarche n’ayant pas abouti auprès des autorités politiques, Claire Ferchaud va en tenter une auprès des militaires. Elle écrit une lettre à 14 généraux, le 7 mai 1917, demandant « que l'image du Sacré-Cœur, signe d'espérance et de salut, brille officiellement sur nos couleurs nationales ». Le courrier est adressée à : Hubert Lyautey ancien ministre de la Guerre, Philippe Pétain généralissime, Joseph Micheler 1ère armée, Adolphe Guillaumat 2ème armée, Georges Humbert 3ème armée, Henri Gouraud 4ème armée, Paul Maistre 6ème armée, Antoine Baucheron de Boissoudy 7ème armée, Augustin Gérard 8ème armée, Denis Duchêne 10ème armée ; ainsi qu'à Édouard de Castelnau, Robert Nivelle, Marie-Émile Fayolle, et Ferdinand Foch.
Il semble que Marie-Emile Fayolle fut le seul à lui répondre, mais le général Ferdinand Foch (commandant le 20ème corps d'armée de Nancy, puis commandant suprême des forces alliées) a été le seul, au cours d'une cérémonie privée le 16 juillet 1918, à consacrer les troupes françaises et alliées au Sacré-Cœur. Les fidèles de Claire Ferchaud ne manquèrent pas de faire remarquer que c’est lui qui remporta la victoire finale quelques mois plus tard. De toute façon, les images du Sacré-Cœur, reproduites à des millions d’exemplaires, étaient très présentes dans les vêtements des combattants, au point que le ministre de la Guerre en interdit l’exhibition le 6 août 1917.
Le Général Ferdinand Foch.
A la fin de l’année 1917, Claire Ferchaud décide de fonder une communauté de « vierges repentantes » regroupant cinq religieuses à Loublande. Elle l’intègre elle-même en prenant le nom de « Sœur Claire de Jésus Crucifié ». Pour cette fondation, elle reçoit le soutien de S. E. Monseigneur Humbrecht évêque de Poitiers, qui vient inaugurer et bénir la chapelle de son couvent le 12 juin 1918. Une statue de la bienheureuse Jeanne d’Arc surmonte le portail d’entrée (canonisée en 1920), sans doute parce que la supérieure était surnommée « la Jeanne d’Arc de la guerre de 14 ». Durant cette période, après la fin de cette première guerre mondiale, les visiteurs et les pèlerins se font de plus en plus nombreux à Loublande.
Le petit couvent de Loublande.
A cette époque la politique de l’Union Sacrée instaurée au début de la première guerre mondiale se poursuit et va aboutir à un assouplissement des lois anti catholiques votées de 1903 à 1905. Les congrégations religieuses vont être autorisées à rentrer en France. Dans ce climat de dégel, le message sans nuance de Claire Ferchaud et la condamnation frontale de la franc-maçonnerie ne peut qu’embarrasser la hiérarchie catholique française. S. E. le cardinal Léon Amiette cardinal archevêque de Paris, avait déjà écrit qu’il regrettait de « n'avoir pu découvrir une inspiration surnaturelle » dans les déclarations de Claire Ferchaud.
De plus, la décision de Rome arriva sous la forme d’un décret de la congrégation pour la doctrine de la foi (Saint-Office) au Vatican. Daté du 12 mars 1920 et publié dans les Acta Apostolicae Sedis sous la signature de S. S. le Pape Benoît XV, il estimait que « les faits de Loublande » …« ne peuvent être approuvés ». C’était un véritable désaveu pour Claire Ferchaud, mais pas une condamnation formelle. Elle plaça tout de même les catholiques désormais dans l’expectative à ce sujet.
Le Cardinal Pacelli Nonce Apostolique
La présence du Sacré-Cœur sur le drapeau n’était pas la seule mission de Claire Ferchaud. Elle militait aussi pour la messe perpétuelle c'est-à-dire un office réalisé par un groupe de prêtres se relayant pour célébrer un triduum de messes en continu. Or, sans que cela ait de rapport avec elle, une expérience de cette nature a été tentée à Lourdes du 25 au 28 avril 1935, sous la présidence de S. E. le cardinal Eugenio Pacelli Légat du Pape (et futur Pape Pie XII). Quand cette initiative fut connue de la S. S. le Pape Pie XI, elle le souleva d’enthousiasme et quand il prit connaissance du projet de Loublande sur le même sujet, il invita Claire Ferchaud à venir le rencontrer à Rome. Malheureusement le Pape mourut le 10 février 1939, à la veille de la seconde guerre mondiale et avant que le rendez-vous ne se soit concrétisé.
Par la suite, Claire Ferchaud devait décéder dans son petit couvent de Loublande le 29 janvier 1957. Des pèlerins viennent encore tous les ans au mois de septembre pour lui rendre hommage.
Chantonnay le 22 décembre 2019